Un meurtre...
 
Du sang partout, sur les murs, les meubles. Une horrible scène de charcutage avait eu lieu ici. Pourquoi, comment cette mère avait-elle pu tuer son fils ? Au réveil, après une nuit difficile, elle avait sauté sur lui et l'avait étranglé, de sang froid, consciente d'arrêter à tout jamais son souffle, ses cris, ses sourires aussi ! Mais elle n'en pouvait plus de l'élever seule. Le père était parti quand il avait su qu'elle était enceinte. Il l'avait giflée, avait quitté l'appartement et n'était plus jamais revenu. Elle avait cherché du travail. À l'usine du village, il l'avaient embauchée tout de suite. Elle n'avait pas parlé de la grossesse bien sûr. Elle avait pu prendre un congé maternité et s'occuper du petit plus ou moins sereinement. Mais les nuits, la gestion de tout ce qu'implique un enfant, en étant seule, l'avait minée et elle replongeait dans sa propre enfance, avec sa mère malfaisante... Brûlures de cigarette, cuites au pastis, amants infâmes qu'elle apercevait à travers la cloison accordéon, qui délimitait leurs deux chambres. Tout cela la hantait et revenait par vagues alors qu'elle regardait son enfant. Elle avait serré sa gorge pour redevenir libre, si tant est que l'on puisse se sentir libre après un meurtre ? Mais aussi pour lui épargner la vie et ses déboires, ses injustices, ses provocations et pour échapper aux spectres de sa propre enfance, qui la narguaient à travers son fils.
 
- Je ne peux plus m'occuper de toi. Je t'aime mais je n'y arrive plus ! disait-elle, en serrant la gorge de son enfant, les larmes déferlant le long de ses joues.
 
Puis elle s'était effondrée sur le sol à côté du petit corps sans vie. Qu'allait-elle devenir maintenant ? Comment avait-elle pu croire un instant que la vie serait légère après cet acte innommable qu'elle venait de commettre. Elle avait l'impression qu'une montagne était sur elle. Elle n'osait ou plutôt ne parvenait plus à bouger.
Puis dans une impulsion de bête traquée, elle se leva et se dirigea vers le placard. Elle attrapa le couteau électrique et commença à se mutiler. Le pied droit, la main gauche, l'oreille droite et elle tomba. Le sang qu'elle perdait lui ôtant sa vie.
Elle avait tué son enfant dans un élan, elle s'était suicidée dans un élan. Élans ! Qui auraient du rimer avec vie mais qui s'associaient ici avec la mort. Pulsion de haine, colère, désespoir, sentiments de vide et de souffrance extrême qui laisse entrevoir le néant là où tout est plein, si plein de peine.
Dans un ultime espoir, l'âme empêtrée et prisonnière de ses blessures pense trouver la solution dans un acte de destruction de plus. Mais elle se trompe. Croyant aller vers la délivrance, elle s'enfonce dans une prison rouge sang et noir tombeau. Elle s'enfonce dans le sol, vers le bas, tout en bas d'où on ne se relève pas.
 
Yasmina fut trouvée trois jours après ce double meurtre. Le chien de la voisine reniflait alléché sous la porte... Les pompiers eurent du mal à rester dans l'appartement, tant la scène était horrible et révélatrice du désespoir et de la folie d'une mère aux abois.
 
Yasmina et Léo furent enterrés discrètement mais dignement. Une grande émotion était palpable lors de cette cérémonie modeste. Quelques voisins étaient là et les pompiers. Une cagnotte avait été faite pour l'enterrement. Deux magnifiques gerbes multicolores ornaient les cercueils. Tous pensèrent à cette maman, non reconnue, abandonnée qui n'avait pas trouvé assez de force pour poursuivre son œuvre : accompagner son enfant et survivre dans ce monde si ambivalent, à la fois merveilleux et dur lorsqu'il se fait cruel et sans amour.
 
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