Très cher enfant,

Je me meurs, doucement. L’agonie est longue car ma maladie a tout son temps ! Elle dessine en moi des couloirs, des galeries, ouvre des salons, des jardins, s’étire, s’étend de tout son long. En douceur, avec délectation. Et plus elle gagne d’espace, plus j’en perds !
Alors, avant de ne plus être définitivement… un grand petit mot de la femme que je suis pour toi cher fils, chair de ma chair, fierté de mes yeux et de mes sentiments !

J’aimerais te laisser en guise de testament une réflexion sur ma féminité.

La femme que je suis est un être doté du très grand honneur et privilège de donner la vie ! C’est ainsi que de mon ventre tu es sorti ! Pas vraiment toi, pas tout à fait… Tu n’étais alors qu’un petit assemblage parfait de chair, ronde et chaude, d’une douceur que je ne connaissais pas, avec un hurlement capable de déchirer mes tympans… un élan de vie impressionnant qui te faisait me happer le sein avec une force qui m’étonnait chez un être en apparence si fragile !
Sorti de mes entrailles, tu t’y es formé…
Pendant neuf mois tu es devenu cet homme miniature que je voyais. Rougeaud, bouffi, mais si attendrissant. De mon corps est sortie cette sculpture, si émouvante… Moi, femme, je me sentais puissante !

Je suis capable de générer la vie… et avec quelle intensité ! Te sortir de ton moule maternel demeure l’une des plus belles expériences de vie que je connaisse. Acte d’amour et d’abandon, je laissais mon corps faire en portant sur lui un regard confiant, fasciné et inquiet. Car les soubresauts de la vie qui se perpétue sont intensément douloureux… Lâcher prise et présence ! Mes deux compagnes pour te mettre au monde. Acceptation et courage.

Tu m’as faite mère ! Ô magie de ce mot, dont je ne pouvais concevoir la très grande préciosité avant de t’accoucher. Tu as poussé ma chair jusqu’à la rompre, je t’ai expulsé avec une douce vigueur. Après cette lutte pour la vie, tu étais près de moi. Vulnérable et serein. Exigeant et tranquille dès lors que tes besoins étaient entendus.

Et là, je te revois, heureux, prenant le lait que mon corps dans sa parfaite intelligence élaborait pour toi. Que j’étais fière ! Après t’avoir « construit » à l’intérieur, je te donnais de quoi grandir… grandir et grandir encore ! Quelle joie. Je voyais le lait couler à la commissure de tes lèvres, sensuel plaisir, exquise gourmandise, je m’extasiais de joie en te contemplant ainsi. Et dans mon corps à chaque goulée, c’était comme une caresse, une douce sensation de plaisir, qui m’envahissait toute entière. Moment de bonheur…

Tu as fait de moi un bel animal humain. Je t’en remercie du plus profond de mon âme, dans ce qu’elle a de plus profond et pur, de plus sauvage…

Etre mère constitue pour moi, une exquise et délectable partie de ma féminité !

Quand tu as lâché mon sein pour découvrir d’autres mets et que mon corps n’était plus préoccupé par ta seule personne, je me redécouvrais femme… cette sensuelle créature, traversée par d’autres mouvements que ceux de son enfant en devenir ou la préparation d’un lait nourrissant.

Mes élans de vie se dirigeaient de nouveau vers l’Homme. Cette extraordinaire créature, robuste et âpre qui sait si bien m’attirer. Tellement douce quand elle le décide… Je retrouvais ma sexualité et mon appétit charnel à l’origine d’un plaisir plus tonique que celui de t’allaiter ou te porter ! Mon corps redevenait longiligne et attirant, mes préoccupations plus esthétiques, voire érotiques… Je pouvais m’éloigner de toi pour de longs moments, tu demeurais content !

Avec la réappropriation de mon corps, revenait aussi l’envie de m’affirmer, d’exister hors du nid, du foyer protecteur, qui m’avait abrité pendant ta gestation. Retrouver mon travail, écrire…

Envie de m’envoler !

En t’emportant toujours dans mon cœur !
 
Je ne sais quelle image tu garderas de moi. De la guerrière passionnée ou de la femme blessée laquelle des deux t’aura le plus marqué ?! De l’intellectuelle échevelée ou de la maîtresse de maison énervée laquelle t’a le plus impressionné ou agacé ?

Tu me sais courageuse et tenace, sensible et loquace…

Je sais que tu es pour moi, la plus belle histoire d’amour qu’il m’ait été donné de vivre !

Car je t’aime quoi qu’il arrive et quoi que tu fasses. Et s’il arrive que tu m’agaces, je sais que cela passe et qu’il ne reste en moi que de l’amour pour toi. Je suis pour toi et avec toi ! Ou que tu sois…
Car notre lien invisible est fort et tenace. Il traverse l’espace… Ainsi, je sens quand tu ne vas pas ou lorsque quelque chose te touche en profondeur.

Tu vas te marier bientôt et je n’aurai pas le bonheur de voir tes enfants. A moins que de là-haut...
Ta femme a beaucoup de chance, grand cœur que tu es ! Je souhaite que tu l’aimes avec toute la joie et la finesse dont tu es capable, que tu la respectes, que tu l’encourages à devenir elle-même, à se réaliser même si cela ne correspond pas toujours à ce que tu voudrais. Aime-la libre et à bonne distance, qu’elle puisse rayonner et vibrer loin de toute entrave et emprisonnement ! Tes projections t’appartiennent. Elle n’est pas tenue d’y répondre…

Soyez l’un pour l’autre un soutien pour aller vers le meilleur de vous-mêmes.

Je t’embrasse fort contre mon cœur.

Maman







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